Lecture orale et lecture silencieuse : quelles différences ?
En tant qu’orthopédagogue, il est très fréquent qu’on se retrouve à évaluer la lecture orale des élèves afin de déterminer leurs habiletés de décodage. Au moins une fois sur deux, un élève me dit qu’il trouve que la lecture à voix haute qu’il vient de faire n’est pas représentative de ses habiletés de lecture. Après avoir entendu ces propos pendant plusieurs années, je me suis demandée si ce qu’ils me verbalisaient trouvait un écho dans la littérature scientifique. C’est donc ce dont il sera question dans cet article.
Bonne lecture !
Article en vedette : The Same yet Different: Oral and Silent Reading in Children and Adolescents with Dyslexia
Tel que mentionné un peu plus haut, le dépistage des difficultés en lecture se réalise en partie par la lecture orale. La dyslexie se caractérise notamment par des difficultés à lire les mots avec fluidité et exactitude. Or, si la lecture orale est assez fréquente en début de scolarité, il s’agit d’expérience de lecture plutôt rare dans le quotidien des adolescents et des adultes. La lecture silencieuse quant à elle n’est pas mesurée lorsqu’on évalue les difficultés en décodage. Cependant, la plupart des adaptations mises en place le sont sous un modalité de lecture silencieuse. Par exemple, il est fréquent que les élèves ayant une dyslexie aient droit à du temps supplémentaire pour lire les textes ainsi qu’à un logiciel de synthèse vocale.
On en sait toutefois très peu sur les ressemblances et les différences entre la lecture orale et la lecture silencieuse. Nous savons toutefois que, chez les adultes, la lecture silencieuse est jusqu’à deux fois plus rapide que la lecture orale. De plus, alors que la vitesse de lecture orale plafonne à l’adolescence, la vitesse de lecture silencieuse continue d’évoluer chez les adultes.
L’objectif de cette recherche est donc de documenter les différences entre ces deux modalités de lecture chez les enfants et les adolescents normolecteurs ainsi que chez les enfants et les adolescents dyslexiques. Pour y arriver, deux études ont été réalisées par l’équipe de recherche.
Dans la première. 40 élèves dyslexiques de la 3e à la 5e année ont été comparés à un groupe contrôle constitué de 18 élèves normolecteurs du même niveau. Tous ont été invités à lire oralement une liste de mots ainsi qu’un texte afin de mesurer la fluidité et l’exactitude à l’oral. Les jeunes devaient également lire un texte de même niveau de difficulté en modalité de lecture silencieuse dans lequel certaines tâches étaient demandées à l’élève afin de mesurer la vitesse de lecture1. Une méthode similaire a été utilisée dans la deuxième étude qui a été réalisée auprès de 54 adolescents dyslexiques et de 24 adolescents normolecteurs de 10e année.
Dans les deux études, les chercheurs ont relevés une corrélation forte entre les scores de lecture orale de textes et les scores en lecture silencieuse de textes pour l’ensemble des lecteurs. Autant à l’enfance qu’à l’adolescence, les jeunes ayant une dyslexie ont une lecture moins rapide et fluide que leurs pairs.
Il est intéressant de noter que, chez les adolescents, la lecture silencieuse apparaît comme plus rapide que la lecture orale. Chez les élèves du primaire, aucune différence significative entre les deux modalités n’a été relevée. Par ailleurs, les adolescents dyslexiques démontrent des difficultés face à leurs pairs autant en modalité orale que silencieuse, mais l’écart avec les autres est plus marqué en lecture silencieuse. On remarque donc qu’en vieillissant, les élèves sans diagnostic de dyslexie lisent de plus en plus rapidement dans leur tête tandis que cela ne semble pas être le cas chez les élèves dyslexiques.
L’hypothèse de l’équipe de recherche est la suivante : les enfants qui viennent d’apprendre à lire doivent décoder chacun des mots qu’ils lisent que ce soit à voix haute ou non. En vieillissant, de plus en plus de mots entrent dans le lexique orthographique. Ces mots sont donc reconnus de façon presque instantanée par le lecteur. Ainsi, les adolescents qui ont plus d’expérience de lecture lisent un peu plus rapidement en lecture silencieuse qu’en lecture orale. Par contre, chez les adolescents dyslexiques qui font plus d’erreurs lors du décodage et qui lisent moins rapidement que leurs pairs, le lexique orthographique est moins développé. Ils s’appuient donc plus sur le décodage, même dans une modalité de lecture silencieuse.
Cette étude permet d’établir que, chez les enfants, la mesure de la fluidité à l’oral permet de mesurer adéquatement les habiletés de décodage et d’exactitude. Par contre, plus tard dans le parcours scolaire l’écart entre les deux modalités se creusent. Il serait donc intéressant de développer des outils permettant de mesurer ces deux modalités de lecture. C’est d’ailleurs une recommandation de l’étude.
Ce que je retiens pour ma pratique :
J’encourage la lecture sous toute ses formes particulièrement chez mes élèves dyslexiques afin qu’ils emmagasinent un maximum de mots dans leur lexique orthographique.
Je prends en compte les normes de fluidité en lecture orale, tout en gardant en tête les écarts possibles avec la lecture silencieuse chez les adolescents.
Je garde en tête que des moyens d’adaptation comme du temps supplémentaire ou encore le recours à la synthèse vocale permet aux élèves dyslexiques d’accéder aux textes comme leurs pairs. Je m’assure donc d’offrir cette option aux élèves qui en ont besoin.
Référence complète : Boer, Madelon & Bazen, Loes & Bree, Elise. (2022). The Same yet Different: Oral and Silent Reading in Children and Adolescents with Dyslexia. Journal of Psycholinguistic Research. 51. 10.1007/s10936-022-09856-w.
À titre d’exemple voici le premier paragraphe du texte :
«The reading task is going to start. The first assignement is that you pick up the yellow block. Well done. Pay attention, you don’t always have to use the blocks. At the end of the sentence, for instance, you pronounce the word’banana’ out loud. Excellent. We will keep track of whether you have done so, so you can repeat the word once more. go ahead ans say it. Well done !»