Les phrases complexes et leurs impacts en lecture et en écriture
J’ai déjà parlé de ma passion pour la grammaire. Sachez que j’entretiens une relation plus complexe avec sa petite soeur, la syntaxe. C’est en grande partie parce que c’est une sphère d’intervention pour laquelle on connaît moins les bonnes pratiques. Je lis donc beaucoup à ce propos, mais sans nécessairement y trouver satisfaction. L’article que je vous propose aujourd’hui présente le rôle que joue les propositions syntaxiques complexes en lecture et en écriture, puis suggère des pistes pour mieux dépister, identifier et intervenir quant aux difficultés syntaxiques des élèves.
Bonne lecture !
Article en vedette : The Role of Complex Sentence Knowledge in Children with Reading and Writing Difficulties
Scott et Balthazar, les deux orthophonistes et chercheuses derrière cet article, rapportent tout d’abord un exemple éloquent de l’impact des difficultés syntaxiques en lecture. Un élève lit la phrase suivante : “Rachel Carson, une scientifique, écrivaine et écologiste, a grandi dans la région rurale de Springdale.” Lorsque questionné sur ce qu’il y a appris, l’élève répond qu’ils ont tous grandi dans la même ville. Des difficultés à comprendre les phrases complexes sont vraisemblablement à l’origine de ce quiproquo.
Une phrase complexe est une phrase qui ne contient pas seulement un sujet et seulement un prédicat. Selon les auteurs, les phrases deviennent complexes par le biais de deux procédés.
Tout d’abord, l’ajout d’expansions dans le groupe nominal peuvent allonger passablement une phrase. Si la longueur n’est pas toujours liée à la complexité syntaxique, de façon générale les phrases plus longues sont plus complexes. Ces extensions permettent d’ajouter de nombreuses informations dans une même phrase et peuvent être extraites de la phrase complexe pour recréer une autre phrase. Par exemple, dans la phrase “L’incendie a complètement détruit l’immeuble récemment remis à neuf par son propriétaire.” On peut extraire l’extension du nom immeuble pour former deux phrases : L’incendie a complètement détruit l’immeuble. L’immeuble a récemment été remis à neuf par son propriétaire”.
Ensuite, il est possible de rendre les phrases plus complexes par le biais de la subordination. Une phrase subordonnée est une phrase qui est introduite par une subordonnant et qui n’est pas autonome syntaxiquement. La compréhension des subordonnants, qu’il s’agisse d’adverbes (même si, afin que, puisque, etc.) ou de pronoms relatifs (qui, que dont, etc.) peuvent occasionner de multiples difficultés chez les élèves.
D’autres facteurs peuvent également avoir un impact sur la complexité d’une phrase. Notamment, le fait d’inverser l’ordre “habituel” des constituants de la phrase peut alourdir la charge cognitive. C’est pour cette raison que les phrases passives sont généralement moins bien comprises.
Au fil du parcours scolaire des élèves, le rôle qu’occupe l’écrit dans l’acquisition de nouveaux savoirs augmente considérablement. Les élèves sont exposés à des textes courants spécifiques et contenant bon nombre de termes spécifiques aux disciplines enseignées. Les phrases composant ces textes sont particulièrement denses lexicalement et comprennent généralement de nombreuses expansions des groupes nominaux. Les phrases écrites sont aussi généralement plus longues que les phrases orales. L’auteur ayant plus de temps pour faire des choix grammaticaux que lors d’une situation de communication orale, il effectue aussi des structures de phrases plus complexes. En somme, la difficulté à comprendre des phrases complexes dans les textes lus peuvent créer des difficultés dans l’ensemble des matières scolaires.
Pour cette raison, il est important de pouvoir identifier les élèves ayant des difficultés syntaxiques autant en lecture qu’en écriture afin de pouvoir intervenir efficacement auprès de ces élèves. D’abord, les élèves ayant un trouble développemental du langage sont particulièrement à risque de développer ce type de difficulté. En vieillissant, les manifestations du TDL peuvent être moins apparentes lors de discussions, mais elles n’en demeurent pas moins présentes. Il est donc souhaitable de vérifier les habiletés syntaxiques les élèves ayant un TDL. Même s’ils n’ont pas de diagnostic de TDL, les élèves ayant des difficultés en lecture ainsi que de compréhension orale sont également à risque de présenter de faibles habiletés syntaxiques.
Il est également possible de dépister les difficultés syntaxiques en s’intéressant aux normes développementales. Malheureusement, les normes mentionnées dans l’article concernent les jeunes angolophones. Il n’existe pas à ma connaissance des normes québécoises quand à la complexité syntaxiques des jeunes du même âge.Chez les enfants de la maternelle, il est attendu d’observer différents types de phrases complexes. À cet âge, l’enfant fait généralement peu d’erreurs liées aux temps verbaux quand il s’exprime oralement. À l’écrit, les phrases des élèves se complexifient progressivement. À partir de l’âge de 10 ans, on estime que les phrases écrites contiennent en moyenne autant de mots que l’âge chronologique. À cet âge, les phrases écrites deviennent généralement plus formelles que celles produites oralement.
Ainsi, l’analyse de différents textes produits par l’élève peut être très révélateur. Il peut être difficile de départager les difficultés syntaxiques des difficultés liées aux autres sphères du langage (vocabulaire, inférence, connaissances antérieures, etc.). Lors de l’analyse, on portera attention à la diversité des phrases, à la longueur des phrases, à des difficultés liées aux temps verbaux ou encore à la reprise anaphorique, aux phrases ou expressions calquées sur l’oral et à l’omission ou l’ajout de certains mots. Également, des difficultés liées à la ponctuation peuvent indiquer des difficultés syntaxiques. Pour identifier des difficultés syntaxiques en lecture, il peut être intéressant de réorganiser ou modifier les évaluations pour identifier les phrases complexes et pour vérifier la compréhension de ces dernières.
Enfin, les chercheurs proposent des pistes d’intervention intéressantes afin de remédier aux difficultés syntaxiques des élèves. Ils proposent trois pistes :
La combinaison de phrases :
Les activités de combinaison de phrases consistent à proposer plusieurs phrases de base aux élèves qui doivent les combiner pour créer une phrase complexe, syntaxiquement correcte. Ce type d’activité permet à l’enseignant de mieux contrôler le produit que lors d’activités d’écriture libre. Ainsi, l’élève qui rencontre des difficultés quant aux phrases complexes ne peut pas “camoufler” ses difficultés en n’écrivant que des phrases de base. Il est également possible de contrôler la façon dont les phrases seront complexifiées en choissisant les coordonnants ou surbordonnants qui seront utilisés. Un autre avantage de cette pratique est qu’elle permet de modéliser explicitement les différentes façons de complexifier une phrase en partant des productions des élèves.
Pour certains élèves en grande difficulté, il peut être trop difficile pour ceux-ci de produire ce qui est demandé. IL est alors possible de proposer des amorces de phrases permettant de se familiariser avec le format de certaines phrases. Par exemple, “Le marchand qui…” entraînera l’élève à combiner des phrases en utilisant des subordonnées relatives.
Si cette pratique vous intéresse, je vous suggère fortement de rejoindre le groupe Facebook Dictée 0 faute, phrase du jour, combinaison de phrases et plus... Vous y trouverez des documents clés en main pour mettre en place cette activité au 3e cycle du primaire et au 1er cycle du secondaire créés par Marie Nadeau lors d’une recherche sur cette pratique.
Le résumé et la reformulation
En lecture, il est fortement recommandé d’entraîner les élèves à s’arrêter fréquemment en cour de lecture pour s’assurer d’être capable de reformuler ou résumer ce qui vient d’être lu. Lors d’activité de lecture, on suggère decibler à l’avance les phrases complexes qui peuvent causer des difficultés de compréhension et de questionner les apprenants après la lecture de cette phrase. On les invite à nommer ce qu’ils ont appris dans cette phrase dans leurs propres mots. Les activités de lecture interactive sont particulièrement propices à ce type d'intervention.
L’organisation des questions de compréhension
Traditionnellement, les activités de compréhension de lecture proposent à l’élève de lire un texte, puis de répondre à une variété de questions sur le texte lu. Or les auteurs proposent que les questions de compréhension pourraient plutôt être stratégiquement placées dans le texte à la suite de phrases complexes. En contexte d’apprentissage, cela permettrait aux élèves d’identifier les phrases plus difficiles et les aiderait à identifier les potentielles difficultés liées à ces phrases.
Qu’est-ce que je peux en retirer pour ma pratique ?
Je m’assure de comprendre la syntaxe des phrases complexes, car même si je n’ai pas à l’enseigner à mes élèves, il est possible qu’ils soient confrontés à des problèmes syntaxiques de cet ordre autant en lecture qu’en écriture.
Je porte attention aux productions des élèves pour identifier ceux qui ont des difficultés syntaxiques.
J’intègre des activités de combinaisons de phrases, j’invite les élèves à reformuler les phrases complexes lues je revois le format des mes activités de compréhension de lecture lorsque j’interviens auprès d’élèves ayant des difficultés syntaxiques.
Référence complète :
Scott CM, Balthazar C. The Role of Complex Sentence Knowledge in Children with Reading and Writing Difficulties. Perspect Lang Lit. 2013 Summer;39(3):18-30. PMID: 25821532; PMCID: PMC4373700.